Le foncier au Maroc : entre traditions et bouleversements
Au Maroc, la terre n’est pas juste un bien immobilier. Elle est une mémoire vivante, un héritage transmis à travers les générations. Chaque parcelle raconte une histoire, chaque lopin de terre porte en lui les espoirs et les luttes de ceux qui l’habitent. Pourtant, cet équilibre fragile est sans cesse bousculé par la modernité et l’expansion urbaine.
1. Les habous : des terres confiées à l’éternité
Certaines terres ne peuvent être ni vendues ni héritées. Elles sont figées dans le temps, dédiées à des causes religieuses ou sociales. On les appelle les habous. Mais que cache vraiment ce système ?
Les habous publics servent à financer des infrastructures comme des écoles ou des hôpitaux, sous la supervision du ministère des Habous depuis 1912. Quant aux habous familiaux, ils disparaissent avec l’extinction de la lignée, rejoignant ainsi le patrimoine public. Enfin, les habous de zaouia, liés aux confréries religieuses, sont surveillés de près par l’État. Leur influence façonne encore l’urbanisme et l’aménagement du territoire.
2. Les terres collectives : un bien de tous, une responsabilité partagée
Imaginez un immense territoire de 12 millions d’hectares, partagé par des tribus, géré par des assemblées traditionnelles (jmaâs) et protégé par la loi depuis 1919. Ce modèle, qui semble idéal, est pourtant menacé.
Sans titre officiel, ces terres restent vulnérables à la pression foncière. L’histoire a prouvé que même protégées par la loi, elles peuvent être convoitées et récupérées au nom du développement.
3. Les terrains guich : un privilège d’un autre temps
Autrefois, les sultans offraient des terres aux tribus en échange de services militaires. Ce système, qui semblait avantageux, est aujourd’hui un casse-tête juridique.
Décembre 2013. Les engins de chantier avancent lentement, soulevant des nuages de poussière. Les membres de la tribu des Ouled Dlim regardent, impuissants, leurs maisons s’effondrer une à une. Depuis 1838, ces terres étaient les leurs. Aujourd’hui, elles sont réquisitionnées pour un projet urbain.
Cette tribu, installée au sud de Rabat, s’est retrouvée brutalement expulsée après plus d’un siècle sur ces terres attribuées par le sultan Moulay Abderrahmane. Ces parcelles, qui avaient vu grandir des générations de maraîchers et de pépiniéristes, ont été sacrifiées à l’expansion urbaine.
« Pour nos terres, nous sommes prêts à mourir », clamait une femme portant son enfant sur le dos. « Même s’ils nous jettent à la mer, nous reviendrons », ajoutait-elle (Le Monde, 02 février 2015).
Face aux pelleteuses, les habitants ont résisté, refusant d’abdiquer. Délogés du douar, certains ont monté un campement de fortune au cœur d’un quartier huppé de Rabat, réclamant un relogement. Ce drame illustre les tensions persistantes autour des terres collectives, où traditions ancestrales et urbanisation galopante s’entrechoquent violemment.
4. Les domaines publics : terres d’État, terres d’usage
L’État marocain administre deux grands types de terres :
- Le domaine public : routes, ports, forêts… Il est inaliénable et géré par différents ministères. À lui seul, le Haut-Commissariat aux Eaux et Forêts administre près de 9 millions d’hectares.
- Le domaine privé de l’État : terres agricoles et immeubles, gérés par des agences comme la SODEA. Moins vaste (730 000 hectares), ce patrimoine joue un rôle stratégique dans l’aménagement du territoire.
Mais derrière ces chiffres se cachent des histoires humaines. Des fermiers expulsés, des familles déplacées, des zones protégées grignotées par l’urbanisation. Comment concilier protection environnementale et développement économique ?
Un héritage à réinventer
Le foncier marocain est un reflet de l’histoire du pays. Religieux, tribal ou étatique, chaque régime raconte un pan du passé et continue d’influencer le présent. Mais le statu quo est-il viable ?
Face à la pression démographique et aux besoins agricoles croissants, une modernisation s’impose. Trouver un équilibre entre préservation et développement est sans doute l’un des plus grands défis des décennies à venir.
Les terres marocaines ne sont pas qu’un simple bout de sol. Elles portent en elles des batailles, des espoirs et des souvenirs. Comprendre cet héritage, c’est mieux l’adapter aux réalités d’aujourd’hui.